Histoire de la Chapelle Notre Dame des Miracles de la Grand'place : 902 - 1785
Quand, en l’an 902, le Burgrave prit la décision d'agrandir la ville, le Comte de Flandre Baudouin II lui ordonna de la fermer par des murs afin de la mettre à l’avenir à l’abri d’un coup de main des Vikings, il ordonna aussi d'aménager la grande place, sur laquelle trôna l'image de la Sainte Vierge en haut d'un piédestal en bois.
Nous vous proposons deux ouvrages qui relatent l'histoire de cette Chapelle, le premier est celui du Père Couvreur édité en 1779, le second est celui de l'Abbé Bled édité en 1910.
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① Les six premiers chapitres de l'histoire de Notre-Dame des Miracles, honorée en sa Chapelle, bâtie sur le Grand Marché de la Cité de Saint-Omer - 1779 -
histoire écrite par le Père Martin Couvreur de la Compagnie de Jésus
Brochure de 48 pages, in-4°.
La première impression a été réalisée en 1647 par la veuve de Charles Boscard, il s'agit ici d'une réimpression par la Veuve Fertel en 1779.
Contenu
Comme l'indique le titre, il s’agit des premiers chapitres de l'histoire de la chapelle Notre-Dame-des-Miracles de Saint-Omer.
On y trouve notamment la traduction de la bulle pontificale d'Innocent X qui accorde des indulgences pour les membres de la confrérie.
Martin Couvreur professeur de philosophie à l’université de Douai, puis recteur du collège Wallon de Saint-Omer de juin 1619 à mars 1622, instructeur du Troisième An à Huy (1622-1626), puis à nouveau recteur du collège audomarois de mars 1640 à mai 1643.
Numérisation de l'ouvrage
Docteur en histoire de l'art - Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres
Responsable du fonds ancien de la Bibliothèque d'agglomération du Pays de Saint-Omer
Chercheur associé de l'Institut de Recherches Historiques du Septentrion (Lille III - CNRS)
Chercheur associé de l'Institut d’Études Médiévales (Université Nouvelle de Lisbonne).
Pour accéder aux pages numérisées cliquez ICI.
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② Livre d’Or de Notre Dame des Miracles - 1910 -
D'après les archives ecclésiastiques et communales de la ville de Saint-Omer par l’abbé O. BLED
Transcription - 2023 - par les Amis de la Cathédrale
Les Amis de la Cathédrale, en possession de ce document imprimé en 1910 l'ont retranscrit en 2023 dans son intégralité. Les amoureux d'histoire et de religion peuvent désormais connaitre l'histoire de cette chapelle qui existait déjà en l'an 902 sur la grand'place de Sithiu, et qui fut démolie en 1785.
Sommaire
-01-Introduction
-02-La Chapelle Notre Dame des Miracles.
-03-La Statue de Notre Dame des Miracles.
-04-Charte de Robert d'Artois Mars 1269 - 1270.
-05-Charte de Robert d'Artois Aout 1271.
-06-Charte de Robert d'Artois Novembre 1271.
-07-Charte du Chapitre de Saint-Omer Novembre 1272.
-08-Charte de Robert d'Artois Février 1279 - 1280.
-09-Charte d'Henri des Murs, évêque de Thérouanne Juillet 1285.
-10-Charte de Robert d'Artois Juillet 1293.
-11-Charte du Chapitre de Saint-Omer Aout 1293.
-12-Charte de l'Official de Thérouanne Aout 1293.
-13-Accord du Chapitre avec le Magistrat de Saint-Omer Juin 1344.
-14-Ordonnance du Roi de France, Charles V Novembre 1373.
-15-Les inventaires de la Chapelle - Le Luminaire.
-16-Charte de la Fondation de Pierre de l'Atre pour le Luminaire XIV ème siècle.
-17-Les Fondations pour Obits, Messes ou Cantuaires.
-18-La Confrérie de Notre Dame des Miracles.
-19-De la Dévotion du Peuple de Saint-Omer à Notre Dame des Miracles.
-20-Description de la Chapelle Notre Dame des Miracles.
-21-Démolition de la Chapelle Notre Dame des Miracles, et transfèrement de la statue dans la Cathédrale en 1785.
-22-Ordre des Chapitres et des Chartes.
-01-Introduction
-02-La Chapelle Notre Dame des Miracles
Une dévotion médiévale
a dévotion du peuple de Saint-Omer envers la très sainte Vierge est aussi ancienne que la ville elle-même. Elle est, comme l’on dit, autochtone, c’est-à-dire née sur le sol même où elle est demeurée si fermement établie, sans aucune importation du dehors, quoi que l’on en ait dit quelquefois. L’image vénérée sous les traits de laquelle Marie est honorée chez nous depuis toujours, n’est la reproduction ni l’imitation d’'aucune autre. Elle n’a pas la glorieuse, mais compromettante tradition, dont beaucoup d'autres se prévalent, d’avoir été importée par de célestes messagers, ou par quelque voie merveilleuse. Mais si un miracle ne l’a pas donnée à la piété des Audomarois, l’abondance et le prix des grâces obtenues par ceux qui la venaient prier, ne tardèrent pas à mériter à la Vierge qu’elle représentait, le nom glorieux de Notre-Dame des Miracles. Le premier soin d’Omer, le saint évêque de Thérouanne, aussitôt après la conversion du maître et seigneur de Sithiu, le farouche Adroald, fut de mettre sous la protection de Marie le peuple qu’il venait évangéliser. Sur la hau-teur voisine de la motte, au sommet de laquelle Adroald avait établi son château, il bâtit une église qu’il dédia à la très sainte Vierge. Mais, pour rester fidèle à notre intention de laisser parler le plus souvent que nous pourrons les archives et les annales de notre ville, citons, sur cette origine, la tradition de l’église même de Saint-Omer, dont dépendait la chapelle de Notre-Dame des Miracles. Nous l’empruntons au chanoine Deneuville, archiprêtre de Saint-Omer et curé de Sainte-Aldegonde, qui écrivit, au commencement du XVIII ème siècle, les Annales civiles et ecclésiastiques de la ville de Saint-Omer. Auparavant, dit-il, de traiter de la chapelle de Notre-Dame des Miracles, qui est sur la grande place de la ville de Saint-Omer, il nous faut reprendre l’histoire de plus loin, et établir comme une chose certaine, que la dévotion du peuple de ce lieu envers la Sainte Vierge, est presqu’aussi ancienne que la lumière de la foi que le grand Saint Omer est venu y répandre… César étant venu en Sithiu fit élever la terre et bâtir un château que, jusqu’à présent, on nomme la Motte de Sithiu, où les païens adorèrent autrefois l’'idole de Minerve. Ce saint ayant converti Adroald, détruisit cette idole avec son temple, et en sa place fit bâtir une église dans l’endroit le plus élevé, à l’occident, et la consacra à l’honneur de la Très Sainte Vierge, chan-geant ainsi, avec justice, le nom de Minerve en celui de la Reine des Anges. Un autre auteur, en manuscrit ( c’est toujours Deneuville que nous citons ), ajoute que dans le même lieu, où est à présent la chapelle de la Sainte Vierge sous les anciennes orgues ( La chapelle de Notre Dame sous les orgues, se trouvait autrefois entre le premier et le deuxième pilier des carolles à gauche, à côté et en avant de la chapelle actuelle de Saint-Antoine de Padoue. C’est donc en cet endroit de la cathédrale actuelle qu'aurait autrefois existé la statue de Minerve. ), fut autrefois ce temple de Minerve ! Il est donc constant que la vénération et le culte que l’on rend à la Sainte Vierge est fort ancien à Saint-Omer, et que depuis son saint fondateur on l’a toujours prise pour la principale Patronne.
Histoire de la chapelle depuis sa création en l'an 902
uand, en l’an 902, on agrandit la ville, et que le comte Baudouin II la fit fermer de murs afin de la mettre à l’avenir à l’abri d’un coup de main des Normands, il fit aussi faire la grande place, dans laquelle on mit l'image de la Sainte Vierge sur un piédestal, au même endroit où l’on voit maintenant la chapelle, où les peuples, pendant bien du temps, venaient lui rendre leur culte, et se recommander à son intercession. Aussi en reçurent-ils plusieurs grâces et faveurs. Ce qui les affectionna tellement qu’ils lui firent bâtir une chapelle dans le même lieu. Cette même tradition avait été recueillie cent ans auparavant par un autre historien. Il dit même que ce fut par une inspiration de la très sainte Vierge elle-même que sa statue fut placée sur une colonne et honorée ainsi quelque temps sur la place du Marché. « Creditur incitamento fuisse B. Virginis iconem, seu statuam prius illie in foro pegmati infixam, seu insistentem. » Et ce n’est pas seulement une pieuse croyance, ajoute-t-il, mais la chose est affirmée par des témoignages écrits.
— Malbrancq De Morinis, t. m, p. 636. —
Ces témoignages, qu'a vus l’historien, sont aujourd’hui perdus, comme tant d'autres titres qui ont péri dans les incendies et autres malheurs de la ville. Le chanoine Hennebert, en son histoire générale d’Artois, ( t. m, p- 370 ), répète la même tradition : « On avait, au X ème siècle, posé sur un piédestal, sur la grand’place de Saint-Omer, une image de la Sainte Vierge. Les faveurs obtenues par son intercession déterminèrent à lui construire une chapelle en bois. » Mais pourquoi le culte de la patronne de la cité passa-t-il de l’église où saint Omer l’avait établi, sur le forum ou marché de la ville ? Le P. Martin Couvreur, le plus ancien historien de Notre-Dame des Miracles, donne de ce transfert une pieuse et naïve explication.
Marie ne voulut pas, par les merveilles de grâce quelle accordait à ses fidèles nuire à l’éclat des miracles qui s’accomplissaient sur les tombeaux de saint Omer et de saint Erkembode, l’église de Notre-Dame devint, sans qu’elle s’en offensât, l’église de Saint Omer, et Marie suggéra elle-même la pensée de l’honorer en un autre endroit. Il semble que l’on peut donner de ce déplacement une raison moins mystique. Une invasion des Normands, en 861, avait incendié et détruit l’église bâtie par saint Omer, plusieurs invasions successives, notamment en 881 et 891, et la misère des temps avaient considérablement retardé la reconstruction de l’église, l'impatience du peuple à retrouver un endroit où il pût à l’aise prier la très sainte Vierge, le détermina à placer sa statue en un lieu public et accessible à tous. Au cours du temps, la population de la ville s’accrut, surtout après que l’enceinte élevée par Baudouin eût donné aux habitants plus de sécurité, le renom de la vierge de Saint-Omer s’étendit plus au loin, et en même temps, du dehors les pèlerins venaient plus nombreux s’agenouiller en plein air autour de l’image vénérée. On comprit mieux la nécessité de donner à ces foules un abri pour prier. Il est impossible, faute de documents, de préciser quand fut élevée cette première chapelle de Notre-Dame des Miracles. On peut supposer que ce fut au cours du X ème siècle. On sait qu’à cette époque, à l’exception des grandes églises, les chapelles, et même beaucoup d’églises de villages, se construisaient en bois. C’est aussi en bois que fut élevée la première chapelle de Notre-Dame sur le Marché, sur l’emplacement même où se dressait le pilier ou la colonne. Ses dimensions, nous le verrons dans les documents qui vont suivre, étaient à peu près celles de la chapelle en pierre qui la remplaça au XIII ème siècle. Dans ce très modeste oratoire, Marie se plut à multiplier tellement ses faveurs, que le peuple l’appela, dès lors, la chapelle de Notre-Dame des Miracles : « a frequentioribus miraculis sacellum Dominæ Nostræ Miraculorum appellant », dit le P. Malbrancq. Cette dénomination doit remonter aux premières années de l’érection de cette chapelle, puisque l’historien des Morins, aussi bien que le curé de Sainte Aldegonde, disent qu’elle est de beaucoup antérieure à l’année 1219. Ici encore nous cédons très volontiers la parole au chanoine Deneuville :
« Les anciens registres de cette chapelle, où sont rapportés les miracles qui s’y firent, assurent qu’il en arriva quelques-uns au jour solennel de la fête de Notre-Dame des Miracles, en l’an 1219, que l’on célèbre tous les ans au dimanche qui précède la fête de la naissance de saint Jean-Baptiste, auquel jour de dimanche le bréviaire et le missel de saint Omer ont fixé cette solennité depuis un temps immémorial, et très longtemps avant 1210, puisque cette fête étoit fort en usage, et qu’on se servoit du nom de Notre-Dame des Miracles pour marquer cette image miraculeuse de saint Omer. Il est donc facile de concevoir qu’on l’a ainsi nommée, à raison des quérisons miraculeuses et autres secours merveilleux, que Dieu a opérés en faveur de ceux qui ont servi et honoré sa sainte Mère en ce lieu et ce nom la distingue de toutes les autres images de cette Sainte Vierge que l’on trouve partout ailleurs, comme sont N.D de Bourbourg, N.D de Boulogne, d’Aire, d'Arras et autres ». Le P. Malbrancq fait la même remarque, et il ajoute cette gracieuse réflexion :
« Dans sa pauvre chapelle de bois, Marie avait tellement été prodigue de ses faveurs, qu’il semble que la nouvelle ait été bâtie bien plus avec des miracles qu’avec des pierres : « B. Virgo ædiculam istam ligneam tot cumulavit beneficiis, ut magis exmiraculis quam ex asseribus compacta videatur.» De Morinis, t. m, f. 639.
C’est par les soins du chapitre, sur le patronat duquel elle se trouvait, que cette chapelle en bois fut construite. Mais il ne put lui-même faire cette construction sans la permission du comte de Flandre, suzerain de la ville, seigneur immédiat du lieu, et sans la permission de la ville elle-même. L’autorisation fut accordée, mais à des conditions qui furent maintenues tant que la chapelle sur le Marché a existé, c’est-à-dire jusqu’en 1785. Le point capital fut la question de juridiction, sur laquelle les deux pouvoirs, laïque et ecclésiastique, ont été de tout temps fort circonspects. Le comte de Flandre et la ville avaient la propriété du sol du forum ou place publique de Saint-Omer, et par conséquent, exerçaient leur justice sur toute son étendue, selon l’adage qui ‘terram habet, justitiam habet’. Afin qu’aucune parcelle du sol du forum ne fût distraite de la juridiction laïque par la concession d’un oratoire ou chapelle, on imagina de faire édifier la chapelle sur un sous-sol assez élevé, sur l’étendue duquel les seigneurs conserveraient toute juridiction, tandis que la chapelle même serait sous la juridiction ecclésiastique. Cependant cet oratoire en bois ne pouvait résister indéfiniment au temps et aux injures de l’air, d’autant moins qu’il était construit sur le point le plus élevé de la ville et entièrement exposé aux plus mauvais vents. Depuis trois siècles aussi, la ville de Saint-Omer avait pris des développements considérables, plusieurs paroisses y avaient été créées, et la dévotion envers la Vierge des Miracles étant de plus en plus populaire, la petite chapelle devenait insuffisante à contenir les fidèles qui y venaient prier. Il semble que la bonne Notre-Dame ait voulu contribuer elle-même à l’onéreuse entreprise d'une reconstruction de sa chapelle en multipliant alors ses miracles. Le moine Allard Tassar, religieux de Saint-Bertin, et principal chroniqueur de cette abbaye, relate plusieurs grâces insignes obtenues dans la chapelle sur le marché, de 1261 à 1269.
— A. Tassan. Annales Bertinienses
Ms. 747 de la bibliothèque de Saint-Omer.
C’est précisément à cette époque que le chapitre de Saint-Omer entreprit la reconstruction en pierre de l’ancienne chapelle. Mais entendons d’abord son exact et renseigné chroniqueur, le chanoine Deneuville. " Comme le peuple s’affectionnait toujours de plus en plus envers la Sainte Vierge, et que son culte augmentoit tous les jours en ce lieu, considérant que cette ancienne chapelle en bois ne correspondoit point à l'excellence et aux grandeurs de la Sainte Vierge, et que d’ailleurs étant fort petite, elle ne suffisoit plus pour le grand concours du peuple qui alloit y faire ses dévotions, on prit la résolution d'en faire bâtir une de pierre plus magnifique. C'est pourquoi on s’adressa à Robert, deuxième comte d’Artois, qui accorda la permission de convertir cette chapelle en bois en une de pierre, el de l’élever autant que l’on trouveroit convenir, selon ses lettres données en l’an 1269 dans le mois de mars, dont les chanoines de Saint-Omer, le magistrat de la ville et les bourgeois qui sollicitoient cette affaire, furent bien charmées. En l’an 1271, ce prince leur accorda de nouvelles lettres datées du mois d’août de cette année, par lesquelles il paroit qu’on étoit près de faire cet édifice en ce lien, puisque le comte Robert leur prescrit la grandeur et la hauteur de cette chapelle, et au mois de décembre ensuivant, il leur accorda à cet effet une troisième lettre, et en vertu de toutes ces permissions, on jeta les fondemens de cette chapelle l’an 1280" ( Une note du manuscrit 747, f. 106 de la Bibliothèque de Saint-Omer nous donne à penser que ce fut bien en l’année 1280. A cette date en effet, l’exact chroniqueur de l’abbaye de Saint-Bertin. Allard Tassar, inscrit dans ce manuscrit intitulé Annales Bertiniant : Hoc anno 1280 capellaS. Marie in medio fori, et de personatu S. Audomari, initiars cepit )
« On la fit comme nous la voyons aujourd'hui ( Deneuville écrivait son récit au début du XVIII ème siècle ), bâtiment magnifique pour ce temps là. On l’éleva fort haute, afin que ceux qui y font leurs dévotions ne soient point troublés par le bruit des personnes qui sont sur la place. On y monte de deux côtés par quinze degrés. Enfin, en l’an 1285, cette chapelle étant achevée, Henry des Murs, évêque de Thérouanne, la consacra en présence des prévôt, doyen et chanoines de L’église de Saint-Omer, qui promirent d’y faire chanter tous les jours les louanges de cette glorieuse Vierge, par les musiciens de leur collégiale, selon le même auteur. Le Magistrat de la ville et les plus notables assistèrent à cette sainte cérémonie ». De cette reconstruction, nos archives, tant communales qu’ecclésiastiques, nous ont conservé plusieurs titres fort intéressants que nous allons reproduire tout à l’heure. Il appartenait bien au chapitre d’entreprendre cette reconstruction, puisque la nouvelle chapelle, comme celle qu’elle devait remplacer, se trouvait sur le territoire de sa juridiction spirituelle. Mais de même que la première n’avait pu être édifiée sans entente préalable avec les seigneurs temporels du lieu, il fallut que le chapitre sollicitât de nouveau du comte d’Artois ( L'autorisation de construire la précédente chapelle avait été donnée par le comte de Flandre, à qui l’Artois appartenait alors. En 1180, l’Artois fit retour à la couronne de France. En 1237, le roi Louis IX érigea cette province en comté-pairie en faveur de son frère Robert, qui fut ainsi le premier comte d’Artois. Robert I°", dit le Vaillant, mourut en 1250, à l'âge de trente quatre ans, à la bataille de Mansourah. Son fils, Robert II, lui succéda, Ce fut celui-ci qui accorda au chapitre de reconstruire la chapelle en pierre. Robert II, dit le Bon ou le Noble, fut tuë à la bataille de Courtrai, dite Journée des Eperons, en 1302. Il avait cinquante quatre ans. ), et du mayeur de la ville l’autorisation de cette reconstruction, et qu’il en déterminât avec eux toutes les conditions. Elles furent les mêmes que celles qui avaient été convenues pour l’érection de la première chapelle, et comme on le verra à la lecture des chartes, ces conditions furent dûment discutées, et très précisément déterminées. C’était l’esprit du temps. Plusieurs de ces précautions marquent bien en quelle circonspection les deux juridictions, civile et religieuse, se tenaient l’une vis-à-vis l’autre. Et d’abord, bien qu’il fût avéré que la chapelle en bois était devenue insuffisante, le comte, afin de ne pas davantage entraver sa juridiction terrienne, le mayeur, afin de ne pas laisser emprendre plus au large sur l’espace du marché de la ville, n’autorisent la reconstruction de la nouvelle chapelle que dans les exactes proportions de longueur et de largeur, et sur l’emplacement de l’ancienne. Pour la hauteur, ils accordent toute faculté (charte de mars 1270). Nous verrons par quel aménagement intérieur le chapitre remédiera à cette insuffisance.
La charte maintient la réserve des circumjacentium cameracum, c’est-à-dire des logettes, échoppes ou magasins, aménagés dans le sous-sol et tout autour de la chapelle, qui continuait d'être sous la juridiction civile. La ville tirait un certain revenu de la location de ces échoppes, comme il appert de plusieurs contrats conservés dans les archives communales. Par sa charte du 2 novembre 1271, le comte d’Artois en réserve expressément la propriété à la ville, qui les louait pour différents usages, religieux ou profanes. Peut-être servaient-elles de boutiques aux marchands d’images, de médailles, d’Agnus Dei, d’ex-voto, ou d’autres objets de piété que, dès cette époque, on trouve établis à proximité de tout pèlerinage. L’une de ces échoppes fut même un moment à usage de cabaret. On y vendait aussi du pain et des vivres aux pèlerins venus du dehors pour faire leurs dévotions à la « benoîte imaige de Notre-Dame du markiet. » .
En 1344, le Magistrat, c’est-à-dire les mayeur et échevins, donna au chapitre l’autorisation de recevoir dans les logettes sous la chapelle, les pèlerins malades venus du dehors pour « servir » Notre-Dame des Miracles, et lui demander la guérison de leurs infirmités. Mais il demanda, au préalable, lettres de non préjudice. Le chapitre les lui donna dans les termes suivants :
« …. Îtem, comme li fons et li lieus de la dite chapelle par desous où on vend le pain, soit et appartiengne du tout à la ville de Saint-Omer, ainsi que plus plainement est contenu en une lettre jadis sur ce faite, et il ait plu as maieurs et eschevins de ladite ville que li infirme et malade qui attendent la grâce de Dieu, de la glorieuse Vierge Marie, avoir et rechevoir de leur enfermetez et maladies, soient, demeurchent ou dit lieu, pour ce que le dicte chapelle par desure soit plus despéchié et descombrée que ele ne seroit si li dit in firme et malade y estoient et de mouroient…Sacent tous que c’est une grâce particulière des maieurs et eschevins et qui ne peut porter préjudice à leur droit de propriété. Donne sous le seaulx de mons. Jacques de Peneste, chanoïne de Saint-Omer, lieu tenant de honorable père en Dieu monss. Nicole Capoce, prévost de Saint-Omer… l’an de grâce mil trois chens et quarante quatre, le venredi prochain après la nativité Saint Jehan Baptiste. »
ARCHIVES CAPITULAIRES DE SAINT-OMER, 1" reg. cap. 1337-1349.
Jean de Wissocq et sa femme ayant fondé en 1408 un hôpital pour y recevoir quelques jours les pèlerins et chemineaux du temps, le Magistrat reprit possession du sous-sol de la chapelle. Au cours des délibérations sur ce projet de reconstruction, et peut-être en voyant sur le terrain le tracé du plan du nouvel édifice, les mayeurs et échevins se rendirent compte que la chapelle, construite parallèlement aux maisons de la place faisant face au nord, gênerait moins le mouvement du marché si l’on en diminuait quelque peu la largeur, tout en lui donnant en compensation un peu plus de longueur. Le chapitre se rendit aux observations du Magistrat, et le comte approuva cet accord entre les deux contractants : c’est l’objet de la charte d’août 1271. Il fut en même temps convenu que l’entrée de la chapelle serait reculée de huit pieds de la chaussée du marché ; nous dirons plus tard la raison de ce recul. Mais le Magistrat demande encore d’autres précisions. La garantie de sa juridiction est toujours son souci dominant. Il se précautionne contre le droit d'asile dont jouissaient alors presque universellement les églises et chapelles, et se réserve le droit d’arrêter lui-même, dans le nouveau sanctuaire, le criminel qui s’y serait réfugié ; comme le siège épiscopal était alors vacant, il veut aussi que le chapitre s'engage à faire ratifier par l’évêque attendu toutes les conventions prises avec la ville, à faire consacrer la chapelle par un évêque agréé du Magistrat, à ne jamais y établir de chapelain perpétuel ou pris dans une congrégation quelconque, qui serait plus indépendante de la Juridiction laïque. Le chapitre consentit à toutes ces réserves dans l’acte donné par son prévôt en novembre 1272. Toutes ces conventions furent approuvées et confirmées par l’évêque de Thérouanne, Henri des Murs, qui en donna acte le 13 juillet 1285. Cette charte est d’autant plus précieuse qu’elle reprend toute la procédure suivie pour la construction de la nouvelle chapelle et qu’elle rappelle ce qui s’était fait pour l’ancienne. La chapelle était consacrée et livrée au culte depuis plusieurs années déjà, quand on reconnut, à l’usage, que les degrés par lesquels on accédait à la chapelle étaient d’une largeur insuffisante. La charte de novembre 1272 ( Cette charte de novembre 1272, que nous donnons plus loin, était déjà imprimée au moment où nous rédigions ces notes. Dans cette charte, le passage où il est question des degrés de la chapelle à été mal traduit. Il faut lire : ... ayant en avant du portail, à droite et à gauche, des degrés de cinq pieds de large. ), ne concédait en effet qu’une largeur de cinq pieds, ( environ un mètre soixante dix centimètres ), ce qui ne pouvait suffire au mouvement de la foule considérable qui entrait à la chapelle et en sortait à chaque instant. Le chapitre en sollicita l’élargissement. Il fallut de nouveau l’autorisation du seigneur foncier, le comte d’Artois, qui consentit à céder encore trois pieds du sol du marché, non sans faire réserve de son droit de Justice et de souveraineté sur le terrain concédé : charte du 25 juillet 1293 ( Cette nouvelle concession n’alla pas sans engagements bien minutieusement établis et authentiquement reconnus par le chapitre envers la ville. Les archives municipales en ont conservé les actes scellés des contractants. B cxxiv, p. D. ). Mais avant de mettre sous les yeux du lecteur les actes authentiques autorisant cette réédification, nous dirons un mot de la vénérable image de la Très Sainte Vierge que la nouvelle chapelle abrita sous son toit, depuis sa construction jusqu’à sa démolition, c’est-à-dire pendant plus de cinq cents ans.
Maquette de la chapelle Notre Dame des Miracles de Saint-Omer en 1758.
-03-La Statue de Notre Dame des Miracles
Une histoire tumultueuse
a statue de la sainte Vierge qui, selon les traditions de l’église de Saint-Omer, était primitivement placée sur un pilier, sur la place du marché, fut vraisemblablement transportée dans la chapelle en bois que les chanoines, à une époque qui n’a pu être déterminée, firent construire après entente avec le Magistrat. Cette statue ne nous a pas été conservée. Celle que possède aujourd’hui la cathédrale est, au dire des archéologues les plus experts, une œuvre de l’art gothique du XIII ème siècle, dans sa plus belle période. Elle est donc contemporaine de la reconstruction en pierre de l’ancienne chapelle, autorisée par Robert, Comte d’Artois, en 1269, et ce fut celle-là même qui, au sortir des mains de l'imagier, fut placée dans l’oratoire réédifié. Ainsi, par une faveur providentielle et bien rare, les habitants de Saint-Omer ont le bonheur de posséder, après tant de siècles et à travers tant de vicissitudes, la même image vénérée de la très sainte Vierge, devant laquelle, durant plus de six cents ans, leurs pères sont venus manifester, envers la protectrice de leur cité, leur amour et leur confiance, exposer leurs supplications, et exprimer leur reconnaissance. Sculptée en plein cœur de chêne, d’'une taille à peu près de l’humaine grandeur, avec son port noble et majestueux, tempérée par une expression douce et souriante, cette belle statue inspire tout d’abord l’admiration. L’exécution en est tout à fait remarquable, dit M. L. Deschamps de Pas, dans une description que nous suivrons ici. « La pose, l’expression, l’agencement des draperies, le fini des plus petits détails, tout dénote un ciseau habile et exercé. Assise sur un trône recouvert d’un coussin brodé, Notre-Dame des Miracles porte une robe fermée à la naissance du col par une riche agrafe. Une ceinture, ornée de cabochons et dont une extrémité retombe sur ses genoux, serre sa taille. Les cheveux retombent en ondulant sur un manteau légèrement posé sur les épaules ( Le bras droit de la Sainte Vierge et celui de l’Enfant Jésus sont une restauration moderne ) » . Ils avaient été autrefois mutilés, sans doute afin que le groupe se prêtât mieux à l’usage, longtemps suivi, d'habiller les statues. L'Enfant Jésus pose aujourd'hui la main sur un livre. Il n’en fut pas toujours ainsi, puisque les inventaires parlent d’ « un monde d’argent pour être mis en mains du petit Jésus. » Dans la main droite descendue elle tient un sceptre, ( Unum sceptrum argenteum quod tenet in manu B. Maria, d'après une note de M. L. Deschamps de Pas, tirée d'un inventaire de 1383, que nous n’avons pas retrouvé. Un inventaire de 1401 parle d'un « nouvel arbreschel (arbrisseau) que Nostre-Dame tient en sa main as grandes festes. » Que figurait cet arbreschel ? Une branche de lis ? la tige de Jessé ? ) et de la main gauche elle soutient l’Enfant Jésus, assis sur ses genoux et bénissant. « Tout ce groupe, continue M. L. Deschamps de Pas, est peint et doré. Le manteau de la Vierge, doublé d’hermine, ( il était primitivement doublé de vair ) a un collet noir. La ceinture et le manteau de l’Enfant sont doublés de rouge et rayés de galons d’or. La moulure où pose la tablette du siège peinte en rouge tout le reste est doré, à l'exception des figures des mains et du pied nu de l’Enfant Jésus. Les ornements, à savoir l’agrafe de la robe et la broderie du coussin, sont peints sur l'or. Les parois verticales du siège sont formées, recherche remarquable, de grandes plaques de verre bleu. Il est probable que la statue portait à l’origine une couronne de bois dorée, taillée à même dans le bloc. On croit retrouver sur le sommet de la tête des traces de la suppression de cet ornement. Cette couronne fut au XIV ème siècle remplacée par une autre en argent., Une note ajoutée à la fin de l’inventaire de 1347 dit qu’en 1348 on plaça sur la tête de la vierge une grande couronne, à fleurs de lis, du poids de douze onces d’argent, t de deux onces de pierres fines. Elle fut donnée par une personne qui voulut demeurer inconnue. C’est en cet appareil, peinte seulement et dorée, que la statue fut jusqu’à la fin du XV ème siècle exposée à la vénération du peuple.
A partir de là on prit l’habitude de revêtir richement la Vierge Mère et l’Enfant Jésus, et, depuis, la garde-robe de Notre-Dame des Miracles ne cessa pas de s’enrichir. C’était à qui des dames des premières familles en offrirait ou en léguerait quelqu’une, la confectionnant parfois elles-mêmes, ou donnant quelque pièce d’étoffe précieuse pour la faire faire. Cette tradition a été respectée dans l’église de Saint-Omer Jusque vers la fin du XIX ème siècle. On peut voir au haut du retable de l’autel donné en 1606 à la chapelle du marché par Mgr Jacques Blasœus, et que nous reproduisons, comment la statue était alors richement habillée ; on ne saurait nier que cet usage ne fût très décoratif.
Appréciant mieux la valeur artistique de la belle statue de Notre-Dame, on a renoncé, depuis quelques années, à la revêtir, Elle est aujourd’hui exposée dans l’état où elle demeura durant les XIII ème, XIV ème et XV ème siècles. La statue était placée au haut du maître autel qui fut longtemps adossé au mur plat faisant le fond de la chapelle : de là elle dominait toute l’assemblée, et comme il n’y avait qu’une seule nef, de tous les endroits de la chapelle, les fidèles pouvaient porter leurs regards sur la Vierge bénie, qu’ils venaient implorer.
Au XVI ème siècle, l’autel primitif fut détaché du fond de la chapelle et porté un peu en avant du chœur, peut-être afin de donner plus de facilité aux personnes chargées du soin pieux d’habiller la sainte Vierge et l’Enfant Jésus, quand cet usage eut définitivement prévalu.
Dans les premières années du XVII ème siècle on décida de faire un nouvel autel. Celui qui existait alors, et dont nous ne pouvons nous faire aucune idée, datait-il de l’origine de la chapelle, et après trois cents ans, après divers arrangements et déplacements, menaçait-il de ruine ? L’ancien autel, du même style vraisemblablement que la chapelle, vint-il à déplaire à Messieurs les chanoines qui, comme presque tous leurs contemporains, décriaient le gothique ? On sait, en effet, qu’il vint un temps où la grâce et l’élégance du style gothique ne furent plus appréciées des gens qui se posaient en connaisseurs. Cette réaction commença chez nous au XVI ème siècle, et fut surtout violente au XVII ème siècle.
Mgr Jacques Blase, dit Blasœus, quatrième évêque de Saint-Omer, 16o1 - 1618, qui avait montré déjà son ardente dévotion envers la très sainte Vierge en organisant par tout son diocèse des confréries pour propager son culte, voulut élever lui-même un autel à Notre-Dame des Miracles qu’il affectionnait particulièrement.
On le pressent, le nouvel autel ou retable ne fut pas dans le style gothique. Ce fut un maître de Saint-Omer que l’évêque chargea de l’exécution de ce travail, et peut-être lui fournit-il lui-même l’idée du plan d’ensemble. Car si l’autel, entièrement en bois, œuvre de menuiserie plus que de sculpture, était dans le style hybride et maniéré, alors fort goûté dans les Flandres, sa conception s’était inspirée d’un pieux symbolisme d’une très heureuse appropriation. Dans une gloire rayonnante de forme ovale, harmonieusement disposée au milieu du retable et le dominant, la statue merveilleuse de la sainte Vierge, vêtue d’un riche manteau tout éployé et largement relevé des deux côtés, attirait tout d’abord le regard. Au-dessus, le Père Éternel se penchait comme pour contempler et bénir sa fille de prédilection, et l’Esprit Saint, sous la forme d’une colombe, étendait ses ailes au-dessus de sa virginale épouse. Au bas de la statue se voyait le chiffre rayonnant de Marie, surmonté d’une couronne soutenue par deux anges : tout autour se tenaient des anges priants et abritant leur Reine de leurs ailes déployées. Tout au-dessous et posant sur l'unique gradin, et de presque toute la largeur de l’autel, était exposée une peinture que l’évêque donateur avait commandée à un artiste d'Anvers. Elle représentait Marie pleurant auprès du corps de son divin Fils descendu de la Croix. Le nouvel autel et son retable furent mis en place en 1606. En 1785, nous le rapportons ailleurs, l’autorité supérieure ordonna la démolition de l’antique chapelle du grand marché. La première pensée de la population fut pour la statue vénérée, dont elle voulut que la translation se fit d’une façon tout à fait solennelle. Au milieu d’un grand concours de peuple, à la suite d’un long cortège formé du clergé de toutes les paroisses, du collège des chanoines, des religieux de la ville, cortège que présidait, en l'absence de l’évêque, le vénérable abbé de Saint-Bertin, D. Joscio d’Allennes, la statue fut portée, ainsi que dans les plus solennelles processions, par deux chanoines, et fut déposée dans la grande nef de la cathédrale, comme dans les jours de grandes supplications. Elle fut replacée dans la gloire de l’autel de J. Blasœus, quand cet autel eut été rétabli dans la chapelle assignée par le chapitre et qui fut appelée depuis, et jusqu’aujourd'hui, la chapelle de Notre Dame des Miracles. Moins de six ans après, l’impiété révolutionnaire fermait, après inventaire, toutes les églises de la ville, sans excepter la cathédrale. Le peuple ne pouvait plus aller prier aux pieds de sa chère Madone, toujours, jusque là, entourée de suppliants. Mais il ne supporta pas longtemps cette privation imposée à sa piété. Il protesta contre cette mesure sacrilège, et il fallut que, peu de jours après, le directoire du département lui rendit l'accès de la chapelle de Notre Dame des Miracles qu’on isola, par une cloison en planches, du reste de la cathédrale. Quelques mois après celte église fut donnée comme métropole à l’évêque constitutionnel, et le peuple y pu continuer ses dévotions envers la sainte Vierge. Mais bientôt l’impiété prévalant partout, toutes les églises furent fermées, et il ne fut plus permis de prier nulle part en public. L’évêque intrus officia pour la dernière fois dans la cathédrale le 8 septembre 1793, et le 24 suivant elle était convertie en magasin d’effets de campement, puis de fourrage. Cette affectation de la cathédrale fut une circonstance heureuse : elle préserva cette église des plus impies profanations dans lesquelles la vénérée image eût couru les plus grands risques. En effet, le 10 novembre 1793, la Convention décrétait que dans toutes les villes, l’église métropole, ou principale, serait le temple de la raison. La Cathédrale de Saint-Omer se trouvant occupée, ce fut l’église du Saint-Sépulcre qui fut désignée (février 1794) pour cet usage par le conseil de la commune. On sait à quelles impies saturnales, à quelles orgies sacrilèges ce culte a donné lieu. C'est ce qui explique pourquoi cette église n'a pas conservé, à l’exception du buffet des orgues qui étaient utilisées dans les fêtes du nouveau culte, une seule pièce de son mobilier. Assurément, si la cathédrale avait dû ouvrir ses portes à la déesse de la Raison elle aurait subi des mutilations bien plus nombreuses que celles que nous avons à déplorer. La nouvelle et abominable idole n’aurait pas toléré dans son temple l’image de la Vierge Mère. Cette circonstance sauva notre belle statue. Elle courut, peu de temps après, un nouveau danger, au culte de la Raison avait succédé le culte de l’Être suprême. Le 1” brumaire an III (22 octobre 1794), le conseil communal délibéra quelle église deviendrait définitivement le temple de l’Etre suprême, dont la Convention avait décrété la fête. Certains membres proposèrent de nouveau la cathédrale ; mais devant l’ennui et l’incertitude des démarches à faire pour en obtenir la disponibilité, aussi les dépenses que nécessiterait sa mise en état convenable, l’église de Saint Denis, qui, de plus, offrait l’avantage d’être plus centrale, fut désignée. Sur des pétitions réitérées de citoyens audomarois, le Conseil communal tenta plusieurs fois de reprendre à l’administration militaire l’église métropole. Tout ce qu'il obtint fut que l’édifice lui fut prêté, passagèrement et sans que le dépôt en fût enlevé, pour certaines fêtes publiques, par exemple pour la fête funèbre en l’honneur du général Hoche, le 21 octobre 1797. La cathédrale continua de servir de magasin au fourrage jusqu’en 1800. Durant tout ce temps, la statue de Notre Dame des Miracles demeura dans la cathédrale : elle traversa ces longs mauvais jours, sans autre hommage, il est vrai, que les prières que lui envoyaient du secret de leur cœur ses fidèles dévots, mais respectée quand même, puisque, à la première lueur de liberté, elle fut retrouvée intacte, ainsi que son autel. La Convention, par son décret du 30 mai 1795, avait bien reconnu une certaine tolérance du culte. Mais ce culte tout constitutionnel, exercé seulement par les prêtres jureurs et dans des locaux désignés, ne rassurait pas la foi d’une grande partie du peuple audomarois, et ne satisfaisait pas sa piété : il y avait, abandonnée et sans culte, au fond de son ancienne cathédrale, une image vénérée, dont le souvenir hantait sa pensée et remuait son cœur. L’église de Saint-Denis, à cause de certains avantages, avait été des premières rendue au culte constitutionnel, et quoiqu’elle servît en même temps de magasin de fagots pour les munitionnaires de l’armée, on y célébrait les fêtes de la République, le peuple y était convoqué tous les décadis, on y célébrait les mariages, on y inaugura, le 50 décembre 1797, le temple de la Loi. Le 22 pluviôse an V (10 février 1797), l’Administration, c’est-à-dire le conseil de la commune, eut à délibérer sur « une pétition présentée par plusieurs individus » de la section E ( c’était le quartier de l’ancienne paroisse de Saint-Denis ), tendant à obtenir de l’Administration la statue d’une Vierge déposée à la ci-devant cathédrale pour la transférer dans le lieu de leur culte. » Cette pétition fut présentée par les sieurs Royez, ancien vicaire épiscopal, et Pierre Roland. L’Administration, considérant que l’arrêt du 30 mai 1795 porte que les édifices cédés pour le culte seront remis dans l’état où ils se trouvent, ouï le commissaire du directoire exécutif, déclara qu’il n’y avait lieu à délibérer sur la pétition.
— (Bibl. de Saint-Omer. Registre des délibérations, t. vur, p. 59 v°)
Un peu plus tard, à une époque que nous n’avons pu déterminer, les mêmes citoyens renouvelèrent leur pétition, offrant de faire à leurs frais le nettoyage, la restauration et l’appropriation de l’église saint Denis, si l’administration leur accordait d’y placer la statue de Notre Dame des Miracles attendu qu’elle était inutile dans la Cathédrale et que leur église n’avait pas de statue de la Vierge.
Il ne fallait pas encore alors alléguer des motifs de piété plus émue : c’eut été une raison de les écarter. Mais, au vrai, tous les fidèles étaient affligés de savoir la statue vénérable abandonnée depuis si longtemps sans honneur dans une église profanée. La requête fut repoussée : le procureur de la commune se refusa à laisser honorer de nouveau un objet de fanatisme, qu’il aurait bien mieux valu brûler, disait-il. Les paroissiens insistèrent avec fermeté, et, Marie aidant ils obtinrent ce qu’ils demandaient. La statue fut accordée, et, en attendant que l’autel fût prêt à la recevoir, confiée à l’un des administrateurs de la paroisse, le citoyen Roland. La nouvelle que l’on allait enfin pouvoir prier en toute liberté devant Notre Dame des Miracles se répandit bientôt dans toute la ville, et causa partout, sans distinction de paroisses, une grande joie. Ce fut à qui offrirait ses services pour reconstituer la garde-robe, dispersée, de la bonne Vierge et de l’Enfant Jésus. Saint-Denis jouit quelques années de l’'honneur d’abriter la célèbre statue, et profita des avantages que lui procurait cette pieuse possession. Mais après la signature du Concordat, en 1802, le culte catholique fut restauré dans la cathédrale, el le premier objet que réclamèrent pour leur église administrateurs et paroissiens, fut l’image de Notre Dame, qu’ils n’avaient vu sortir de chez eux que contraints et forcés par les circonstances. Comme on devait s’y attendre, Saint-Denis voulut conserver le trésor qu’il était si heureux de posséder. Mais le conseil de la commune, mis en cause, insista auprès des administrateurs de la paroisse de Saint-Denis pour que la statue fût restituée, faisant même entendre que leur paroisse pourrait perdre son titre de succursale. D’après les notes d’un contemporain de ces faits, Mgr de la Tour d’Auvergne décida, par une ordonnance, que la statue serait rendue à son ancienne église. On profita même de la présence de Monseigneur, faisant sa première entrée à Saint-Omer, pour faire cette restitution. II fut convenu, entre les marguilliers des deux paroisses, qu’elle aurait lieu le plus secrètement possible. Pour éviter plus sûrement tout émoi, et même des violences possibles, on choisit l’heure de midi, au moment où tout le monde est habituellement chez soi. Le jeudi 3 mars 1803, deux hommes emportèrent sur une civière la statue soigneusement recouverte, et Notre-Dame des Miracles reprit, ce jour même, sa place au haut de l’autel que Mgr Jacques Blasœus avait fait construire pour elle deux cents ans auparavant. Le lendemain, M. Coyecques, curé de la paroisse reconstituée et doyen de Saint-Omer, célébra à cet autel une messe solennelle, mettant la cathédrale et la ville sous la protection de Notre-Dame des Miracles. Elle y demeura près de cent ans encore, Jusqu’au moment où elle fut placée au haut du très riche et magnifique autel-rétable, en bronze doré, que le grand doyen de Saint-Omer, M. le chanoine Duriez, avec le concours généreux des dévots de Notre-Dame, lui a élevé en 1875. L’autel donné en 1606 par Mgr Blasœus, a été malheureusement détruit en ces dernières années.
Ainsi les autels de Notre-Dame des Miracles ont été successivement remplacés, mais l’antique et vénérée statue du XIII ème siècle, celle que nos pères ont appelée dans leur piété reconnaissante « l’imago miraculosa Beatæ Virginis Mariæ », l’image miraculeuse de la benoîte Vierge Marie », celle devant laquelle pendant plus de six cents ans les générations qui nous ont précédées sont venues prier, est demeurée la même, et continue de voir à ses pieds les foules pieuses exprimer à Celle qu’elle représente, leur amour, leurs supplications, leurs remerciements. Pour les supplications publiques et pour les processions générales, le clergé de la cathédrale allait, la veille, chercher la statue dans sa chapelle sur le marché et la venait déposer dans la cathédrale, au haut de la grande nef, sur sa « table ». Elle était toujours portée en procession par deux chanoines désignés la veille par le chapitre. La remise en place se faisait avec le même cérémonial. Mais la statue n’était que très rarement descendue, et pour des raisons tout à fait exceptionnelles. Quand la station ou arrêt de la procession devait se faire dans l’église de l’abbaye, un religieux de Saint-Bertin prenait dans les brancards la place de l’un des deux chanoines au moment où la procession entrait sur le patronat de l’abbaye, à la rue du Mortier, aujourd’hui rue Guillaume Cliton. L’honneur de porter en procession la statue de Notre-Dame des Miracles a parfois donné lieu, entre moines et chanoines, à de violents conflits. Ce n’était pas la seule image de Marie que possédât la chapelle du marché. Le chroniqueur audomarois Jean Heindricq, qui mourut en 1636, dit y en avoir vu une autre.
« En l’an 1368, écrit-il, Guillebert de Sainte-Aldegonde, chantre de l’église de Saint-Omer, fit présens à la chapelle Nostre Dame des Miracles sur le marchiet, d'une image d’argent doré de Nostre Dame, tenant son fils entre ses bras, haute d'un deux (sic) piets, laquelle se montre auæx jours solennels. J’ai trouvé escrit au piet de l’imaige en lettres antiques qu’elle fut faite l’'an 1343. »
— ( Ms. 808 de la bibliothèque de Saint-Omer, t. m, p. 383 ).
Il ne faut pas faire état des dates données par le manuscrit. Nous n’avons, des mémoires de Jean Heindricq, qu’une copie de deuxième et peut-être de troisième main. Ces dates sont certainement fautives. La première est rectifiée par une note de l'inventaire du chapitre en 1557 : « Une grande imaige Nostre Dame, argent doré, le pied d’argent, que l’on mect deseure la table d’autel auæ bons jours, donne par Messire Guillebert de Sainte-Aldegonde, chantre, en l’an mil trois centz XVIII. »
— ( Archives capitulaires G. 2787 ).
Guillebert de Sainte-Aldegonde devint doyen de l’église de Saint-Omer, il mourut en 1328. Il appartenait à l’illustre, généreuse et chrétienne famille de Sainte-Aldegonde qui, durant deux siècles, a occupé les premières charges du Magistrat de la ville. Il était fils de Jean de Sainte-Aldegonde, chevalier, seigneur de Noircarmes, qui fonda en 1208 la chartreuse du Val de Sainte-Aldegonde, à Longuenesse, il était oncle de « Jehan de Sainte-Audegonde, sires de Norkelmes » qui, en 1344, fonda, avec Guillaume et Guillebert, ses frères, Jean, son fils, et Guillebert, son petit fils, la confrérie de Notre-Dame des Miracles. Il faut le faire remarquer, malgré son exactitude ordinaire, le chroniqueur audomarois a pu, confondant ses souvenirs, se figurer avoir vu dans la chapelle du marché une statue qu'il aurait vue dans l’église cathédrale, car la statue de Guillebert de Sainte-Aldegonde figure sur l’inventaire de l’église de Saint-Omer en 1597, et n’est mentionnée sur aucun de ceux de la chapelle. Heindricq est plus sûrement renseigné quand, parlant d’une autre statue, il dit :
« Le 18 juin 1617, dimanche devant la nativité de saint Jean Baptiste se fit la solennité ordinaire ou annuelle de la chapelle de Notre Dame des Miracles sur le marché de notre ville, où assistèrent le doiens et confrères portant pour la première fois en main une imaige de Notre-Dame tenant son Enfant, faitte d’argent et dorée en aucuns lieux, ce que du passé elle était de bois painte et dorée, Laquelle imaige avoit esté faitte aux despens de huit confrères, desquelles estoit cette année Abraham Daens, notaire de leurs Altèzes, et le second en tour Jacques Ricart. Et estoit icelle de poix de nœuf marq d'argent, et coustoit 55 sols l’once, portant environ à 199 livres, puis pour fachon de l'ouvrier cent et vingt florins. »
— (Bibl. de Saint-Omer. Ms. 808, t. 11, p. 51.)
Cette jolie statue, que l'on voit ci-dessus reproduite, payée par la confrérie de Notre-Dame des Miracles en 1617, comme le porte l’inscription gravée sur le socle, existe encore. Échappée au vandalisme impie de la Révolution, elle fut rachetée et recueillie par le vénérable M. Coyecques, le premier curé de Notre-Dame après le Concordat. Elle passa de celui-ci à son successeur, M. Deron (1824), qui, dit son oraison funèbre, avait une naïve et tendre dévotion envers Notre-Dame des Miracles et qui, par piété, écrivit un opuscule, aujourd’hui malheureusement perdu, Notice sur l’antique chapelle de Notre-Dame des Miracles. À sa mort (1832) elle passa dans une famille chrétienne qui, respectant les intentions des premiers donateurs, en laisse, sans vouloir se faire connaître, la jouissance aux administrateurs de la Confrérie de Notre-Dame des Miracles qui la détiennent tour à tour pendant l’année de leur décanat. Elle est prêtée au clergé de la cathédrale pour être portée en procession dans les grandes fêtes. On peut s’étonner que les généreux donateurs, voulant offrir à leur confrérie une image en argent de la très sainte Vierge, n’aient pas reproduit la statue si populaire et si vénérée de Notre-Dame des Miracles, telle qu’on la voyait dans son sanctuaire du grand marché. Faut-il attribuer cette préférence à l’horreur du gothique ? Quoi qu’il en soit, voici la description que donne de cette statue, dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de la Morinie ( t. vn, p. 618 ), M. Ch. Legrand, secrétaire archiviste de cette société. « La Vierge est debout, les cheveux dénoués, flottant abondamment sur les épaules. Elle tient de la main droite un sceptre surmonté d’un globe et d’une croix, tandis qu'elle soutient l'Enfant Jésus de la main gauche. Ses vêtements consistent en une robe et un long manteau, aux plis harmonieux, tombant jusqu’à terre, laissant voir les pieds à demi longueur et chaussés…. Les mains et les pieds de l’Enfant Jésus, ainsi que les mains de la Vierge, sont finement modelés. Le visage de la Vierge, un peu penché vers la terre, est empreint d’une grande bonté. La pose est naturelle et grâcieuse. L’Enfant Jésus retient, appuyé sur la cuisse gauche, un globe surmonté d’une croix, tandis que la main droite tournée vers sa Mère semble la désigner aux hommages des fidèles. Sa robe, faite d’une seule pièce avec un col rabattu et sans le moindre ornement, laisse voir les deux pieds nus. Il porte sur la poitrine un double collier de perles auquel est attaché une croix. On voit encore, en différents endroits, les traces de la dorure dont parle Heindricq..….
Le socle de la statue est de forme octogonale. Les trois faces antérieures sont ouvrées à jour, et leur travail est rendu plus visible par trois plaques de verre bleu appliquées intérieurement. La face centrale contient, dans un médaillon de forme ovale faisant saillie, une relique de saint Silvain, évêque. Sur les cinq autres faces est gravée l'inscription suivante : A * LHONEUR * DE * DIEU * ET * DE * LA * CONFRERIE * NTRE DAME DES * MIRACLES * EN * LA * SAINTE CHAPELLE * SUR * LE* GRAND * MARCHIET * DE * CESTE * VILLE * DE * ST * AUMER * MRE * JACOUES * PALFART * CHAPELAIN * ABRAHMAM * DAENS * DOYEN * JACQUES * RICQUART * PIERRE * DE LATTRE * MRE * MATHIEU * TIELT * GUILLAUME* BAUWIN * ET * DENIS * FRANCHOIS * CONFRERES * DE * LA * DICTE * CONFRERYE * ONT * FAICT * FAIRE * LA * PNTE * YMAIGE * DE * LEUR * PROPRE * ET * ICELLE * LIBERALEMENT * DONNE * A * LA * DICTE * CONFRERIE * L’AN * 1617 * PRIES * DIEU * POUR * EULX * ».
Cette statue, en argent repoussé, a 0m48 de hauteur, 0m70 avec le socle et le soubassement. Elle figure dans l’inventaire de 1644 sous cette rubrique : « Une Nostre-Dame d’argent, haulte de deux pieds ou environ, appartenante à la confrérie ». L’inventaire de 1559 mentionne : « Une petite imaige de Nostre-Dame d’argent doré, avec aucunes dignitez dedens. ». C’était sans doute une de ces statuettes dites Vierges ouvrantes, dans lesquelles on enfermait des reliques.
Un cadeau des Anglais
En 1639, les catholiques anglais, réfugiés à Saint-Omer, offrirent une statue d’argent d’un pied et demi à Notre-Dame des Miracles. ( Piers. Anecdotes anglaises, page 61, man. 806, f 106 vo ). Nous ne savons ce qu’elle est devenue.
-04-Charte de Robert d'Artois Mars 1269 - 1270
-05-Charte de Robert d'Artois Aout 1271
-06-Charte de Robert d'Artois Novembre 1271
-07-Charte du Chapitre de Saint-Omer Novembre 1272
-8-Charte de Robert d'Artois Février 1279 - 1280
-09-Charte de Henri des Murs évêque de Thérouanne Juillet 1285
-10-Charte de Robert d'Artois Février 1279 - 1280
-11-Charte du Chapitre de Saint-Omer Aout 1293
-12-Charte de l'official de Thérouanne Aout 1293
-13-Accord du Chapitre avec le Magistrat de Saint-Omer Juin 1344
-14-Ordonnance du Roi de France Charles V Novembre 1373
-15-Les Inventaires de la Chapelle - Le Luminaire
-16-Charte de la Fondation de Pierre de L'Atre pour le Luminaire XIV ème siècle
-17-Les Fondations pour Obits, Messes ou Cantuaires
-18-La Confrérie de Notre Dame des Miracles
-19-De la Dévotion du Peuple de Saint-Omer à Notre Dame des Miracles
Il manque la suite de ce paragraphe, dès que nous aurons retrouvé cette page elle sera uploadée sur le site, nous vous présentons nos excuses pour ce dossier tronqué !